Lettre Ouverte à l’Union africaine à propos de la Journée Africaine de lutte contre la corruption
Kinshasa, le 11 Juillet 2018
Chers Dirigeants de l’Union africaine,
Transparency International et ses 28 sections en Afrique félicitent l’Union africaine (UA) pour avoir
désigné le 11 juillet comme Journée africaine de lutte contre la corruption
et avoir consacré l’année 2018 à la lutte contre la corruption.
Les conséquences de la corruption sur le développement économique du continent ne
peuvent pas être sous-estimées. La corruption n’est pas un crime sans victime et touche souvent
ceux qui souffrent le plus particulièrement les personnes vulnérables, pauvres et marginalisées.
Auparavant, l’UA s’était engagée à lutter contre la corruption en Afrique et à garantir une culture de
bonne gouvernance et d’état de droit. Cet engagement est inscrit dans un certain nombre de traités
de l’UA, notamment:
I. La convention de l’UA pour prévenir et combattre la corruption (AUCPCC), adoptée en 2003
II. La charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, adoptée en 2007
III. La charte africaine des valeurs et des principes du service public et de l’administration,
adoptée en 2011
IV. La charte africaine sur les valeurs et les principes de la décentralisation, de la
gouvernance et du développement local, adoptée en 2014
Malgré ces engagements collectifs apparents contre la corruption en Afrique, le défi reste énorme
sur le Continent. En ratifiant ces chartes, les pays africains ont renforcé leur engagement en faveur
de la démocratie, des droits de l’homme et de l’état de droit, ainsi que des valeurs de transparence,
d’intégrité, de participation et de responsabilité.
Nonobstant ces efforts, la Convention des Nations Unies contre la corruption, la Convention de
l’Union Africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption et d’autres traités régionaux, la
corruption reste une menace et un obstacle pour le développement des États africains, en
particulier le renforcement des institutions démocratiques et l’atteinte des objectifs de
développement durable (ODD).
À ce titre, Transparency International et ses Sections Africaines soumettent les recommandations
suivantes à l’UA pour examen.
1. La Convention de l’UA pour prévenir et combattre la corruption (AUCPCC)
L’AUCPCC est considéré comme une feuille de route partagée par les États pour mettre en œuvre
des systèmes de gouvernance et de lutte contre la corruption au niveau national et régional. La
convention contient des dispositions fortes qui pourraient résoudre les problèmes de corruption à
travers le continent.
Cependant, son application n’est possible que si chaque pays adopte et applique ces dispositions à
l’échelle nationale. Actuellement, seuls 40 des 54 États membres ont ratifié l’AUCPCC. Pourtant,
ceux qui l’ont ratifié n’ont pas encore démontré de progrès dans sa mise en œuvre. Sur ce, nos
recommandations à l’UA sont les suivants:
a. Exhorter les 14 pays restants qui n’ont pas encore ratifiés et déposés les instruments de
ratification de ce traité de prendre les mesures adéquates pour l’adopter.
b. Exiger que les pays qui ont déjà ratifiés la convention rendent compte de son application
et que leurs dirigeants soient responsables de sa mise en œuvre.
2. Conseil consultatif de l’UA sur la corruption
Tout en félicitant les dirigeants et les gouvernements de l’UA pour la promotion des initiatives de
lutte contre la corruption, nous sommes très préoccupés par les récentes allégations de corruption
formulées par Mr Daniel Batidam, ancien membre et ancien président du Conseil consultatif de l’UA
sur la corruption (AUABC).
Lorsqu’il a démissionné le 8 juin passé, Mr Batidam a cité des cas de mauvaise gouvernance,
notamment l’abus de pouvoir et le manque d’honnêteté, de responsabilité, de transparence et
d’intégrité au Secrétariat de l’AUABC et dans divers départements de l’UA.
Pour répondre à ces allégations et donner de la crédibilité à l’engagement de l’UA de lutter contre la
corruption, nos recommandations à l’UA sont les suivantes:
a. Enquêter sur les allégations de corruption à l’AUABC et sanctionner tous ceux qui
pourraient être jugés coupables.
3. Marchés publiques
Dans de nombreux pays africains, l’achat de biens et de services représente au moins 30% des
budgets nationaux. Cependant, de nombreux pays perdent de l’argent dans le cadre du
processus marchés publiques en raison de détournements de fonds et de corruption.
Cette perte est estimée à 25% en moyenne de toutes les ressources consacrées au développement.
Il est impératif que l’UA accorde une attention particulière aux pratiques des marchés
publiques sur le continent.
Sur ce, nos recommandations à l’UA sont les suivantes:
a. Élaborer des normes et des lignes directives pour la passation de marchés
publiques respectueuse des principes d’éthique et d’intégrité.
b. Mettre en place une communauté de praticien consacrée à la passation des marchés
publics respectueux des principes d’éthique et tenant en compte la valeur/prix.
c. Consacrer des ressources à la formation et au suivi dans la passation des
marchés publiques.
e. Investir dans la recherche dans le secteur des marchés publiques et constamment fournir
des recommandations pour son amélioration.
4. Les contrats ouverts
Les faits nous montrent que les contrats ouverts stimulent la croissance économique et renforcent
les systèmes de passation de marchés publics. La publication des informations sur les contrats
ouverts établis en 2014 facilite la dissémination standardisée des données, clarifient les
documents nécessaires au processus contractuel et permettent une analyse plus approfondie des
données.
Pour promouvoir les contrats ouverts, nous appelons l’UA à:
a. Encourager et faciliter les gouvernements membres à initier des contrats ouverts à travers
l’adoption, la publication des informations et les principes de contrats ouverts.
b. Faire les contrats ouverts comme processus d’achat par défaut de l’UA.
5. Recouvrement des avoirs volés
L’argent illicite qui quitte le continent réduit la quantité de ressources disponibles pour investir dans
l’emploi et fournir des services sociaux essentiels aux citoyens d’Afrique. Le continent est
particulièrement vulnérable à ce problème en raison de l’abondance de ressources naturelles
combinée à des antécédents de mauvaise gouvernance.
Lancé en 2016, le Panel de Haut Niveau des Groupes des experts africains sur les flux financiers
illicites présidé par l’ancien président Thabo Mbeki, a constaté que le continent perdait plus de 50
milliards de dollars par an pour des sorties financières illicites. Aujourd’hui, on estime à 90 milliards
de dollars américains en provenance du continent africain.
Pour stopper cette hémorragie, nous appelons l’UA à:
a. Exhorter les gouvernements à mettre en place et appliquer des lois sanctionnant des fonds
émanant de la corruption, de la criminalité et du blanchiment des capitaux. Cela inclut l’adoption
et la mise en œuvre de la législation qui exige l’identification des propriétaires réels des sociétés
faisant des affaires en Afrique.
b. Exiger que les systèmes judiciaires affectent du personnel spécialisés qui se focalisera sur comment
enquêter et sanctionner les crimes d’évasion fiscale et le recouvrement des avoirs volés.
c. Améliorer la coordination et la communication entre les institutions qui sont
chargées d’application de la loi au niveau national et international. Développer une base de
données africaine des entreprises figurant sur la liste noire sur les crimes et abus financiers.
6. Education et autres services publiques de base
L’accès a l’éducation, aux services de santé et à la justice équitable sont non seulement les droits
de base pour les citoyens mais aussi ils sont encrés dans les traités internationaux des droits de
l’homme dont la majorité des pays africains sont signataires et/ou ont domestiqués dans les
constitutions et lois nationales.
Cependant, beaucoup de citoyens africains continuent à être victimes de la corruption dans
le secteur de l’éducation, service de santé et dans le processus d’accès à la justice.
Dans le système éducatif, la corruption se manifeste dans la passation des marchés
pour la construction des écoles, le processus de recrutement des enseignants fictifs et l’inscription
des élèves fantômes, le détournement des ressources destinées aux achats des matériels scolaires
et leurs approvisionnements, les pots-de-vin pour l’accès a l’éducation et l’achat des grades et faux
diplômes, pour ne citer que cela.
Dans le secteur de la santé, certains employés demandent des paiements supplémentaires illégaux
pour que les citoyens accèdent aux soins médicaux. Dans certaines situations, la mort peut être le
prix ultime si l’argent demandé n’est pas honoré.
Dans le secteur de la justice, le traitement inéquitable des justiciables est un déni de justice à la
partie défavorisée.
Nous appelons les dirigeants africains de prendre des actions fortes pour lutter contre la corruption
qui minent encore l’accès à l’éducation de qualité, aux soins de santé pour tous et à une justice
équitable.
Plus spécialement, l’UA devrait assurer que ses états membres s’engagent à promouvoir :
a. La transparence et la redevabilité dans l’accès aux services de base comme l’éducation, la santé et
la justice et mettre fin à l’impunité de ceux qui sont reconnus coupables de crimes de corruption
b. La mise en place des mécanismes de collecte des plaintes des citoyens victimes de la corruption et
assurer la protection des dénonciateurs
7. Transparence dans la publication des propriétés réel des sociétés
En 2016, Transparency International a appelé les gouvernements à divulguer les propriétés réels
des sociétés ou des Banques afin de mettre fin au secret qui favorise des pratiques de corruption
dans ces secteurs.
Aujourd’hui, nous réitérons ces demandes et appelons l’UA à:
a. Publier des échéanciers pour la mise en place des registres publics dans le format des données
ouvertes, qui contiennent des informations sur les propriétés réels des sociétés ou des banques,
b. Exiger l’enregistrement de toutes les sociétés faisant des affaires sur le Continent Africain et ayant
des liens étroits avec leurs pays d’origine, même lorsqu’elles sont enregistrées à l’étranger.
c. Exiger que les soumissionnaires aux marchés publics se soumettent aux vérifications sur les
antécédents de la société et de ses dirigeants, actionnaires majoritaires et bénéficiaires effectifs,
ainsi que la divulgation de l’identité des propriétaires
d. Exiger que le secteur de l’immobilier mette en place des mécanismes de lutte contre le
blanchiment d’argent, y compris la vérification des clients potentiels et une bonne tenue des
informations y relatives.
e. S’assurer qu’il existe des sanctions aux fautes concernant la conduite, y compris des poursuites
pénales, pour les personnes reconnues coupables d’avoir violé ces lois et les lois connexes, et
celles qui ont fait de fausses déclarations.
8. Au-delà de 2018
L’engagement de l’UA à consacrer 2018 à la lutte contre la corruption en Afrique est un grand pas
en avant pour le continent.
Alors que nous félicitons l’UA d’avoir créé des institutions anti-corruption et de mettre en œuvre
des mesures, des stratégies et des programmes pour combattre la corruption dans la région, la
réalité est que la corruption persiste malgré ces efforts.
La corruption n’est pas seulement un fléau; c’est un cancer pour notre continent. En tant que tel,
nous devons continuer la lutte au-delà de 2018 et encourager les Africains à lutter contre la
corruption partout où ils se trouvent.
Nous croyons fermement, maintenant plus que jamais, que l’UA passe des slogans aux actions. À ce
titre, nous encourageons l’UA à consacrer des ressources à la lutte contre la corruption dans ses
pays membres. Ce soutien financier aidera à renforcer les systèmes anti-corruption existants et à
soutenir la société civile dans l’éradication de la corruption sur notre continent.