Un fidèle de Kabila dans les appartements de luxe à Montréal

Une autre grosse pointure d’un des pays les plus pauvres d’Afrique francophone mise sur l’immobilier à Montréal. L’assistant financier du président congolais Joseph Kabila a investi plus de 3 millions $ dans des appartements de luxe. Ce nouvel immigrant investisseur est toujours associé à la famille Kabila dans l’exploration de diamants, dans un pays miné par la corruption et la répression sanglante de l’opposition.
Pour acheter ses propriétés de la métropole, Emmanuel Adrupiako a pu compter sur des paiements liés à un juteux contrat de passeports en République démocratique du Congo (RDC).
Ce vieux compagnon de route du président a été reçu immigrant investisseur au Québec en 2015. En 2014, il faisait un premier achat dans le quartier de L’Île-des-Sœurs: un condo neuf de la tour Symphonia à 1,25 M$, taxes comprises.
Adrupiako s’ajoute donc à la vingtaine de hauts gradés issus de régimes corrompus d’Afrique francophone que notre Bureau d’enquête a détectés dans le marché immobilier québécois, présentés en juin dans un grand reportage du «Journal de Montréal».
Condo flambant neuf
Dernier achat en date pour lui : en avril, sa fiducie familiale a mis la main sur une unité de près d’un million de dollars au 19e étage de la nouvelle tour Icône, en plein centre-ville, à un coin de rue du Centre Bell.
Mais d’abord, il a acquis deux appartements de l’avenue des Pins, en 2015 et 2016, pour un total d’environ 800 000 $.
Pour les payer, Adrupiako a pu compter sur les 700 000 $ US qu’il venait de recevoir de deux compagnies coquilles de Dubaï. Toutes les deux sont liées à Semlex, une firme belge qui venait de remporter un contrat d’au moins 96 M$ US pour produire les nouveaux passeports de la RDC.
En juillet 2015, Adrupiako recevait ainsi un premier versement de 300 000 $ US dans son compte de la Banque Royale, à Montréal.
Un mois plus tard, il touchait encore 400 000 $ US, dans un compte de la banque Jyske, au Danemark, comme le rapportait l’agence de presse Reuters dans une enquête en avril.
Adrupiako s’est impliqué dans la réalisation du contrat de passeports, dès le début du processus.
En tant que conseiller financier du président Kabila, il « avait soumis l’idée » de signer un contrat de partenariat public-privé avec une entreprise pour produire les nouveaux passeports congolais, selon son avocat.
«Idée validée par le gouvernement dû [sic] à la baisse drastique des recettes de l’État suite [sic] à la chute des cours de matières premières», écrit Me Nima Hejazi dans un courriel.
«Une avance de loyer»
Interrogé sur les paiements de Dubaï, l’avocat confirme qu’ils proviennent de compagnies liées à Semlex. Selon lui, la firme belge occupe un immeuble appartenant aux enfants d’Adrupiako à Kinshasa, la capitale de la RDC. Les 700 000 $ US seraient en fait des avances sur le paiement du loyer.
«M. Adrupiako a pris contact avec son représentant local, qui cherchait activement des locaux, et il a visité les lieux et a estimé que c’était correct», écrit Nima Hejazi.
Joint par notre Bureau d’enquête, le PDG de Semlex, Albert Karaziwan, a confirmé avoir versé 700 000 $ US à Adrupiako, sans expliquer pourquoi il avait fait transiter les sommes par deux coquilles de Dubaï.
En avril, un journaliste de Reuters s’est rendu à l’immeuble en question, à Kinshasa. Il n’y a trouvé qu’un bâtiment en construction.
«La société continue à détenir un bureau dans l’immeuble», assure de son côté l’avocat d’Adrupiako.
La Banque Royale et la banque Jyske ont refusé de commenter, tout comme l’United Arab Bank de Dubaï.
Aujourd’hui, une enquête est en cours en Belgique sur ce juteux contrat de passeports, octroyé à une firme de Bruxelles en contournant les procédures d’appel d’offres. Adrupiako ne fait l’objet d’aucune accusation. Il n’a pas rappelé notre Bureau d’enquête.
Les documents de voyage que confectionne Semlex pour la RDC coûtent 185 $ US, encore plus qu’au Canada (120 à 160 $, soit 96 à 127 $ US).
De cette somme, 60 $ US vont à une autre compagnie de Dubaï, LRPS, qui participe au consortium avec Semlex. Selon Reuters, cette firme appartient à Makie Makolo Wangoi, une sœur de Joseph Kabila.
Comme le contrat prévoit la production d’au moins deux millions de passeports, LRPS devrait toucher au minimum 120 M$ US grâce à ce pacte.
À savoir sur la République démocratique du Congo (Congo-Kinshasa)
• En vertu de la Constitution, le dernier mandat de Kabila se terminait l’an dernier, mais le président reporte les élections depuis août 2016.
• En septembre 2016, la répression des manifestations contre le régime a fait au moins 40 morts.
• Washington et Bruxelles ont décrété des sanctions contre plusieurs membres de la «Maison militaire» du président, responsables de la répression des opposants et des journalistes.
• Des fermes et des mines des Kabila sont surveillées par les soldats de la garde républicaine.
• Les ¾ de la population vivent avec moins de 2,35 $ par jour.
• Classement à l’Indice de développement humain : 176/188 (1 = pays le plus développé; 188 = pays le moins développé)
• Indice de perception de la corruption de Transparency International : 156/176 (1 = meilleure gouvernance ; 176 = pire gouvernance)
Sources : Groupe d’étude sur le Congo, Transparency International, Human Rights Watch, Programme des Nations unies pour le développement, US Department of the Treasury Associé aux Kabila dans le diamant et les mines artisanales
Associé aux Kabila dans le diamant et les mines artisanales
Dès le début de son règne, en 2001, Joseph Kabila a fait d’Emmanuel Adrupiako le directeur financier de son cabinet. Rapidement, son homme de confiance s’est associé à sa famille dans de multiples entreprises. Ensemble, ils contrôlent notamment près d’une centaine de permis d’exploration de diamant.
L’une des entreprises minières qu’ils possèdent, Acacia SARL, détenait même en 2014 des participations dans des mines artisanales de cuivre et de cobalt protégées par des soldats du gouvernement, dans la province du Katanga, selon un rapport qu’ont financé la Banque mondiale et le gouvernement britannique.
«Ces militaires veillent, si nécessaire par la force, à ce que les exploitants artisanaux vendent leur production exclusivement aux propriétaires des sites d’exploitation d’où ils ont extrait le minerai et à personne d’autre», affirme le rapport rédigé par la française Sofreco en 2014. Les «creuseurs» extraient tant bien que mal le minerai à coups de bêche et de pioche, presque à mains nues.
Liens d’affaires
Acacia et sa filiale Kwango Mines SARL appartiennent toujours à la famille Kabila et à Adrupiako. L’agence de presse Bloomberg faisait état de ces liens d’affaires dès décembre dans une vaste enquête sur la fortune du maître de la RDC, qui s’accroche illégalement au pouvoir.
L’avocat d’Adrupiako précise que son client est associé aux Kabila au sein d’Acacia et de Kwango Mines depuis le milieu des années 2000. Son associé et lui avaient alors besoin de 6 M$ US pour démarrer leurs activités minières. Ils ont alors «présenté un business model [sic] qui a attiré l’attention de la famille, explique Me Nima Hejazi. Voilà comment le lien a été établi de manière tout à fait fortuite.»
L’avocat assure toutefois que ces compagnies sont strictement engagées dans l’exploration et qu’elles n’ont jamais enregistré de revenus. Il nie que son client soit impliqué dans les mines artisanales.
Ses entreprises avec le clan Kabila
En juillet, le Groupe d’étude sur le Congo, en partenariat avec Bloomberg et le Pulitzer Center on Crisis Reporting, publiait une liste des entreprises familiales des Kabila. Emmanuel Adrupiako est, ou a déjà été actionnaire de huit d’entre elles. Certaines n’ont plus d’activités aujourd’hui.
• Acacia (diamant, cuivre, cobalt. Un rapport lui reproche d’exploiter des puits artisanaux de cuivre et de cobalt)
• Amitié CS – RDC (ACR) (construction, services miniers, exploration, immobilier)
• Aviation Maintenance Services (services d’aviation)
• Développements Tous Azimuts (DTA) (exploration minière)
• JNS Capital (diamant)
• Kwango Mines (diamant et participations dans des conglomérats miniers)
• Société congolaise d’assainissement et de développement (SCADE) (développement, mines, import-export, immobilier, transport, construction)
• Wimbi Dira Airways (ancienne compagnie d’aviation)

Par Hugo Joncas | Agence QMI | Publié le 10 octobre 2017 à 08:29 – Mis à jour le 10 octobre 2017 à 08:35
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